À travers mes activités de recherches, je m’intéresse au fonctionnement acoustique des instruments de musique à vent. D’un point de vue mécanique, ils sont généralement décrits comme un couplage entre un système excitateur non-linéaire (anches en roseau pour les instruments à anche, anches lippales pour les cuivres et jet d'air pour les flûtes), et un résonateur (tube à coulisse ou à piston pour les cuivres ou à trous latéraux pour les bois) dans lequel la propagation des ondes, souvent supposée linéaire fait apparaître des phénomènes de résonances (ondes stationnaires). Le système dynamique ainsi décrit est un système auto-oscillant convertissant l'énergie apportée par le musicien à travers son souffle en une oscillation acoustique. Ce système présente une grande richesse de comportements (oscillation harmonique ou apériodique, doublement de fréquence, etc) qui dépendent des paramètres contrôlés par le fabricant (facteur) (réponse acoustique du résonateur, caractéristiques des anches, etc) ou le musicien (pression d'alimentation, force d'appui des lèvres, etc). Certains de ces paramètres sont stationnaires (paramètres de facture) alors que les paramètres contrôlés par le musicien fluctuent au cours du jeu pour articuler les notes et construire le phrasé musical.
Mes projets de recherche, passés ou actuels, sont présentés ci-dessous à travers trois grandes thématiques:
En contexte musical, les artistes se limitent à quelques comportements spécifiques (typiquement, l'oscillation harmonique). Au sein de cet espace restreint, l'expertise empirique des musiciens et des facteurs leur permet de contrôler très finement le rendu sonore et ce, pour une grande variété d'instruments et de hauteurs de notes. Des mesures "in-vivo" de ce contrôle m'ont permis d'obtenir, à partir de ce savoir-faire, des clés de compréhension sur les mécanismes mis en jeu dans le fonctionnement des instruments et leurs contrôles en situation de jeu. Pour ce faire, j'ai comparé le contrôle et le rendu sonore entre des musiciens de différents degrés d'expertise et entre différents instruments. Certaines observations ont été confirmées "in-vitro" avec des bouches artificielles permettant de contrôler les paramètres indépendamment.
Les transitoires d'attaque de flûte à bec
J'ai appliqué cette approche au contrôle des transitoires d'attaque des flûtes. Cela m'a permis d'identifier différents phénomènes:
un apport d'énergie large bande, contrôlé par la vitesse de montée de pression utilisée par le musicien, qui initie l'oscillation du jet
un taux de croissance de l'oscillation, imposé par le fabriquant à travers les facteurs de qualité des résonances du corps de l'instrument
le développement éphémère de composantes hautes fréquences pendant l'attaque favorisé ou nom par la facture mais contrôlé par le musicien (c.f. exemple sonore)
J'ai également appliqué cette démarche à l'étude du contrôle du sac de la cornemuse dans le cadre du projet pluridisciplinaire "Geste-Acoustique-Musique" en collaboration avec Cassandre Balasso-Bardin et Patricio de la Cuadra. Cette étude s'est basée sur une comparaison entre le contrôle de la cornemuse majorquine et de la cornemuse galicienne par des musiciens de différentes expertises (débutants, confirmés, experts). L'étude du geste du musicien que j'ai menée, nous a permis de mettre en évidence un contrôle précis de la pression du sac en lien avec le phrasé musical chez les instrumentistes confirmés et experts. Article associé à ce travail
Modélisation physique
Les sources aero-acoustiques dans les instruments de type flute.
Les mécanismes sources sont généralement décrits par des modèles phénoménologiques à peu de degrés de liberté (p. ex. une valve pour les anches), dont les paramètres sont difficiles à relier aux paramètres physiques. Il est alors nécessaire d'ajuster les modèles pour chaque instrument ce qui limite leurs capacités prédictives. De plus, ces modèles sont construits sur des hypothèses d'oscillation établie et de quasi-stationnarité, problématiques pour les simulations temporelles. Ainsi, le modèle usuel pour les flûtes où le son est induit par l'interaction entre un jet et un biseau, suppose l’existence du jet à tout instant.
En m'appuyant sur des visualisations d'écoulement telles que celle présentée ci-dessus, j'ai donc proposé un modèle aéro-acoustique plus pertinent d'un point de vue physique dans lequel le jet est associé à des allées de tourbillons discret convectés par l'écoulement. Article associé à ce travail
J'ai également modifié ces deux modèles (usuel et aéro-acoustique) afin qu'ils prennent en compte la fluctuation de la pression d'alimentation induite par un couplage entre l'instrument et le conduit vocal du musicien. Cette technique lui permet de modifier le timbre du son émis. Cette fluctuation de la pression d'alimentation induit une perturbation symétrique (dite variqueuse, ou de type jet pulsé) en plus de la perturbation anti-symétrique (dite sinueuse) visible sur la vidéo. Article associé à ce travail
Le résonateur des instruments à vent.
La méthode usuelle pour modéliser le résonateur consiste à le découper en blocs (tronc de cône, trou latéral, etc.) associés à une matrice de transfert reliant la pression et le débit acoustique à chacune de ses extrémités. Cette matrice doit être estimée au préalable pour chacun des blocs à partir d'un calcul analytique ou, à défaut, à partir de mesures ou de la résolution de l'équation d'Helmholtz.
À cet effet, j'ai modélisé l'ouverture présente au niveau du biseau de la flûte (nommée la fenêtre) en m'appuyant sur des mesures, des simulations par éléments finis 3D et des considérations théoriques. Article associé à ce travail
Dans le cas de la flûte traversière, le musicien place son visage au niveau de cette ouverture ce qui en modifie fortement le rayonnement. Au cours du jeu, il modifie la position de sa lèvre en fonction de la note jouée ou pour corriger d'éventuels défauts de justesse. Je propose un modèle simplifié de cet effet. Article associé à ce travail
J'ai plus récemment proposé un développement asymptotique (approximation de BKW) permettant d'obtenir la matrice de transfert d'un tube conique en présence des pertes visco-thermiques, qui, jusqu'à présent, étaient ajoutées à postériori comme un effet moyen sur l'ensemble du tronçon. Article associé à ce travail
Depuis mon arrivée à l'Inria de Bordeaux en mars 2019 je participe à l'implémentation du logiciel libre OpenWIND, dans lequel la modélisation du résonateur est traitée différemment. Dans ce logiciel les équations de propagation des ondes en une dimension (équations des télégraphistes), prenant en compte les pertes visco-thermiques, sont résolues en utilisant des éléments finis spectraux. Ce choix de résolution permet de calculer le champ de pression dans tous les instruments pour des perces quelconques (comme illustré ci-dessous). Les détails de l'implémentation sont décrits sur le site web du logiciel et dans cet article.
Outils d'aide à la facture instrumentale
Dû aux difficultés d'application des modèles phénoménologiques, les outils d'aide à la facture se focalisent sur le résonateur. J'ai travaillé sur deux de ces outils permettant d’accélérer la conception de nouveaux instruments en tirant parti d’algorithmes d'optimisation.
Conception automatique sous contraintes
Dans le cadre du projet Liamfi (Laboratoire commun ANR "Interface Acoustique Musique et Facture Instrumentale" entre le LMA et l'entreprise Buffet Crampon), j'ai développé un logiciel "Optim-Z" permettant d'obtenir la géométrie d'un instrument à partir de critère sur les caractéristiques de l'impédance acoustique d'entrée (fréquences de résonances, amplitudes des pics, etc) et de contraintes géométriques (par exemple ergonomiques). Pour développer cet outil, je me suis concentré sur la définition des fonctions de coûts et des cibles en mettant à profit mes connaissances d'acoustiques et des échanges avec des facteurs et des musiciens. Ces recherches m'ont amené à retravailler la définition de résonances acoustiques. Pour illustrer les possibilités de ce logiciel un instrument de démonstration a été conçu. Il s'agit d'une clarinette pentatonique (jouant une gamme pentatonique), à deux registres, ayant une tessiture similaire à une clarinette en Si bémol. Les contraintes géométriques ont été fixées afin de pouvoir jouer cet instrument sans utilisation de clés et de tampons. Ces choix ont poussé l'algorithme d'optimisation à proposer une géométrie inhabituelle visible sur la photographie ci-dessous. Article associé à ce travail
Reconstruction de perce
Au sein de l'équipe Makutu, j'ai mis en place d'un outil de reconstruction de perce, permettant d'obtenir la géométrie interne d'un instrument à partir de mesures acoustiques. L'utilisation d’éléments finis pour résoudre les équations des ondes dans le logiciel OpenWIND, m'a permis d'adapter une méthode de calcul du gradient issue de la communauté de géophysique tirant parti de la résolution du problème direct: l'inversion de la forme d'onde complète (ou Full Waveform Inversion: FWI). Cette technique d'optimisation me permet aujourd'hui, en collaboration avec le facteur Augustin Humeau, de reconstruire la géométrie du résonateur d'instruments à trous latéraux à partir de mesures acoustiques. La vidéo ci-dessous illustre la reconstruction d'un instrument hypothétique ayant deux trous latéraux. Article associé à ce travail